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Monsieur Verdoux

Chaplin sur le tournage de Monsieur Verdoux
Chaplin sur le tournage de Monsieur Verdoux

Charles Chaplin jugeait, sans fausse modestie, que Monsieur Verdoux était “le film le plus intelligent et le plus brillant de toute sa carrière”.

C’est en tout cas la plus noire de ses comédies : l’histoire d’un tueur en série qui finit sur la guillotine. Mais, comme Chaplin le disait toujours, la comédie n’est jamais très loin de la tragédie et de l’horreur.

“Dans des circonstances appropriées, le meurtre peut être comique”, écrivait-il.

Monsieur Verdoux, 1947
Monsieur Verdoux, 1947

L’idée originale a été suggérée par Orson Welles. C’était à l’origine un projet de documentaire dramatique sur le légendaire assassin français Henri-Désiré Landru, exécuté en 1922 après avoir tué au moins dix femmes, deux chiens et un jeune garçon. Chaplin versa à Welles 5000 dollars pour l’idée, en donnant son accord pour que le générique mentionne : “Inspiré d’une idée d’Orson Welles.” Plus tard, Welles prétendra qu’il avait lui-même écrit un scénario pour le film, mais c’est peu probable. En tout cas, l’accord écrit entre Chaplin et Welles n’en fait pas mention.

Charles Chaplin en costume pendant le tournage du film
Charles Chaplin en costume pendant le tournage du film

L’accord a été signé en 1941, mais il fallut à Chaplin quatre ans pour terminer le scénario. Dans l’intervalle, il fut détourné de son travail par une pénible poursuite en reconnaissance de paternité, qu’était venu compenser le bonheur de son mariage avec Oona O’Neill.

Chaplin affirmait que le personnage de Verdoux était en partie inspiré de Thomas Wainwright, un faussaire anglais du dix-neuvième siècle, assassin et intellectuel.

Néanmoins « Monsieur » Henri Verdoux a beaucoup en commun avec son modèle réel, Henri Landru. Tous deux sont marchands de meubles, et tous deux entretiennent une respectable famille bourgeoise, tout en séduisant et en assassinant de riches veuves pour s’emparer de leur argent. Comme Landru aussi, Verdoux finit par être pris quand la famille d’une de ses victimes s’interroge sur la disparition de celle-ci.

Monsieur Verdoux, 1947
Monsieur Verdoux, 1947

Chaplin utilisa cette histoire pour établir une comparaison satirique entre assassinat privé et assassinat public. Verdoux déclare lors de son procès :

“Quant à l’assassinat collectif, le monde ne l’encourage-t-il pas ? Ne construit-il pas des armes de destruction dans le seul but d’assassiner en masse ?”

Et il dit à un journaliste venu l’interroger dans sa cellule : “Un meurtre fait un bandit, des millions, un héros. Le nombre sanctifie.”

Chaplin avec Martha Raye dans Monsieur Verdoux
Chaplin avec Martha Raye dans Monsieur Verdoux

De tels sentiments étaient profondément suspects dans l’Amérique des années quarante, qui était déjà entrée dans l’atmosphère paranoïaque et la chasse aux sorcières des années de guerre froide. Le Breen Office, bureau d’autocensure du cinéma américain, commença par rejeter le scénario dans sa totalité, affirmant qu’il « contestait la structure sociale actuelle », bien que l’histoire soit située en France entre les deux guerres mondiales. En fin de compte, l’organisme se satisfera de quelques coupes seulement, mais la pudibonderie de l’époque exigea la suppression de toutes les scènes indiquant que mari et femme pourraient partager le même lit, ou qu’une jeune femme pourrait être une prostituée.

Martha Raye et Chaplin sur le plateau
Martha Raye et Chaplin sur le plateau

Ces problèmes de censure mis à part, le tournage fut plus rapide et plus dépourvu d’incidents qu’aucun des longs métrages réalisés à cette date par Chaplin.

L’augmentation des coûts de production, les rationnements de pellicule dans l’après-guerre, lui interdirent le luxe d’improviser et d’expérimenter sur le plateau, ce qui avait jusque-là caractérisé sa méthode de travail.

L’économie l’obligeait désormais à tout méticuleusement préparer à l’avance. Pour la première fois, Chaplin travaillait avec un scénario complètement terminé, un plan de tournage précis, des dessins minutieux pour chaque plan. Pour garantir l’authenticité du décor français, il engagea à ses côtés le réalisateur français Robert Florey, son vieil ami et admirateur. Authentique aussi, la moustache de Monsieur Verdoux : pour la première fois à l’écran, Chaplin arborait une vraie moustache. Le tournage fut terminé en moins de trois mois.

Robert Florey et Charles Chaplin pendant le tournage de Monsieur Verdoux
Robert Florey et Charles Chaplin pendant le tournage de Monsieur Verdoux

Monsieur Verdoux sortit à New York en avril 1947, alors que la paranoïa politique atteignait un premier sommet. Chaplin, vaguement suspect de sympathies extrémistes, en fut une des victimes les plus notables.

Déjà affecté par la réaction générale peu favorable lors de la première, il le fut plus encore par une conférence de presse où des journalistes hostiles se refusèrent à parler du film mais lui posèrent avec insistance des questions sur ses opinions politiques, son patriotisme, ses problèmes d’impôts et son refus d’adopter la nationalité américaine.

Chaplin sur le plateau
Chaplin sur le plateau

Par la suite, les fanatiques de droite qui avaient organisé ce harcèlement fomentèrent des manifestations pour boycotter les cinémas présentant le film, et forcèrent les Artistes Associés à le retirer provisoirement de la circulation. Ce fut le début de la dernière, et plus malheureuse, période de la vie de Chaplin aux États-Unis, qu’il quittera définitivement en 1952.

Le tournage en extérieur de la scène de la barque
Le tournage en extérieur de la scène de la barque

Mais, au milieu de cette hostilité, il restait des défenseurs passionnés de Chaplin et de son film. Le plus important fut le légendaire critique James Agee, de The Nation, qui réagit vigoureusement contre les attaques réactionnaires en consacrant non pas un mais trois articles consécutifs à Monsieur Verdoux dont il parlait alors comme « un des meilleurs films de tous les temps ». Sur l’Amérique de la guerre froide, il déclara :

« Je crois qu’une démocratie qui ne peut pas contenir tous ses ennemis, aussi virulents soient-ils, est finie en tant que démocratie. » Bien sûr, Chaplin n’était pas l’ennemi de l’Amérique, mais il en était incontestablement le critique à travers le personnage de Verdoux, dans une société où toute critique était profondément mal vue.

Chaplin et Robert Florey pendant le tournage
Chaplin et Robert Florey pendant le tournage

© 2004 MK2 SA & David Robinson


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