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Une biographie musicale de Chaplin

« Le génie musical de Chaplin est le fruit d’un anticonformisme structuré associé à un sens inné d’authenticité » -Ray Rasch

Chaplin raconta que, pendant son enfance, sa mère l’emmenait au théâtre où il se faisait petit dans les coulisses à l’écouter chanter, et à regarder les autres numéros. A la maison, pendant les périodes plus heureuses, sa mère jouait pour lui et son demi-frère - chantant, dansant, récitant et faisant des imitations d’autres artistes. La première apparition de Chaplin sur scène à l’âge de 5 ans fut précipitée par la perte de voix de sa mère devant un public difficile. Charlie fut poussé sur scène par le directeur de l’établissement où, performeur né, semble-t-il, il chanta deux morceaux, coupant net pour ramasser les pièces lancées sur scène par les spectateurs hilares.

Une jeune Hannah Chaplin en costume de scène
Une jeune Hannah Chaplin en costume de scène

En 1898, à 9 ans, Charlie commença sa propre carrière au music-hall avec une troupe de danseurs de sabots, les 8 Lancashire Lads. Il resta au théâtre, alternant périodes de travail et de chômage, jusqu’à son embauche par la compagnie Fred Karno. Nouvelle vedette d’une des troupes, en 1910 il part en tournée des circuits vaudeville américains. Stan Laurel, également chez Karno à l’époque, se souvint que pendant la tournée aux USA en 1912 Charlie « emportait son violon partout. Le violon avait des cordes inversées qui lui permettaient de jouer de la main gauche. Un jour il acheta un violoncelle et le trimballa partout également. Il s’habilla alors comme un musicien, avec un long pardessus de couleur fauve à col de velours vert, et un chapeau aux bords rabattus. Il se laissa pousser les cheveux dans le dos. Nous ne savions jamais ce qu’il allait faire. » Chaplin écrivit : « Depuis l’âge de seize ans, je m’exerçais [au violon] de quatre à six heures par jour. Chaque semaine, je prenais des leçons avec le chef d’orchestre du théâtre ou avec quelqu’un qu’il me recommandait. J’avais de grandes ambitions de devenir artiste de concert ou à défaut de cela, d’utiliser mes talents de violoniste dans un numéro de music-hall, mais à mesure que le temps passait, je me rendais compte que je ne pourrais jamais être excellent et je renonçai. »

Arrivant à Sacramento le 5 juin 1911 lors de sa première tournée aux Etats-Unis avec la troupe de Fred Karno
Arrivant à Sacramento le 5 juin 1911 lors de sa première tournée aux Etats-Unis avec la troupe de Fred Karno

A la fin de 1913 Chaplin quitta Karno et resta aux USA pour travailler dans le cinéma. Pendant son séjour à la Mutual Film Corporation, Chaplin, maintenant vedette, saisit l’opportunité de rencontrer des musiciens connus tels que Paderewski and Leopold Godowsky. En 1916 il fonda sa propre maison d’édition musicale. « Nous publiâmes deux mille exemplaires de très mauvaises chansons dont j’avais composé la musique, et nous attendîmes les clients. C’était une aventure insensée. Je crois que nous en vendîmes trois exemplaires, dont deux à des inconnus qui passèrent par hasard devant notre bureau en descendant l’escalier. » La Charles Chaplin Music Company ferma après l’édition de trois chansons de Chaplin : Oh! That Cello, There’s Always One You Can’t Forget, et The Peace Patrol.

Couverture de "Oh! That Cello", partition éditée par la Charlie Chaplin Music Publishing Co.
Couverture de "Oh! That Cello", partition éditée par la Charlie Chaplin Music Publishing Co.

Le cinéma demeura sa préoccupation principale, et en 1918 il inaugura ses propres studios – où il pouvait exercer un contrôle total sur toute la production.

A l’époque du cinéma muet, il était habituel de demander aux arrangeurs professionnels des accompagnements musicaux appropriés pour les films importants. Ceux-ci étaient en général des compilations de musiques déjà publiées, adaptées ensuite selon le budget de chaque cinéma et en fonction des instruments disponibles. Chaplin s’intéressait à la musique proposée pour accompagner ses longs métrages, participant à la compilation de la partition de L’Opinion publique (1923) avec Fredrick Stahlberg, et avec Karli Elinor pour celle de La Ruée vers l’or (1925). Pourtant il attendit Les Lumières de la Ville avant de composer sa première partition complète – un début entendu par des millions de personnes dans le monde entier.

Avec Alf Reeves, manager des Studios Chaplin, vers 1918
Avec Alf Reeves, manager des Studios Chaplin, vers 1918

D’après Timothy Brock, chef d’orchestre-compositeur (et expert en musique de Chaplin), Chaplin avait un vrai talent de compositeur et de créateur de mélodies. « Même s’il ne savait ni lire ni écrire une seule note, la musique était dans sa tête, complète, complexe, sophistiquée. Son seul problème était de faire comprendre à ses collaborateurs-arrangeurs ce qu’il entendait et qu’il ne pouvait reproduire qu’en chantant ou pianotant. » Selon Chaplin l’unique avantage de l’arrivée du cinéma parlant fut que « je pouvais contrôler la musique ; je composai donc la mienne. Je m’efforçai de composer une musique élégante et romanesque pour accompagner mes comédies par contraste avec le personnage de Charlot, car une musique élégante donnait à mes films une dimension affective. Les arrangeurs de musique le comprenaient rarement. Ils voulaient une musique drôle. Mais je leur expliquais que je ne voulais pas de concurrence, que je demandais à la musique d’être un contrepoint de grâce et de charme, d’exprimer du sentiment… »

« Pour ses partitions, Chaplin reçut l’aide de ce qu’il appelait un ‘associé musical’ » explique Brock. « Il s’agissait de quelqu’un qui, avec un niveau de participation qui variait selon le projet, se chargeait de la mise par écrit et de l’orchestration de ses compositions. Chaplin jouait et du violon et du piano, mais tout comme de nombreux compositeurs de musique populaire de n’importe quelle époque, ne savait pas transcrire ses compositions. Néanmoins, malgré cette incapacité contraignante, quasiment chacune de ses partitions porte la marque indélébile Chaplin : quel que soit l’associé, la structure et l’approche musicales demeurent sans aucun doute chapliniennes. De plus, les enregistrements témoignent de choix de styles très spécifiques, uniques à Chaplin. Par exemple, violoniste lui-même, il exigea que l’on reproduise son style de jeu, dont les caractéristiques sont omniprésentes dans les longs solos pour violon dans ses partitions. La plupart de ces solos (et chaque long métrage de Chaplin en comporte) sont écrits d’une manière joliment bizarre, mais spécifique. En général son écriture pour cordes suit une série unique de principes qui révèle qu’il était un compositeur pour qui comptait le son, pas l’affabilité technique. »

Après Les Lumières de la ville, Chaplin composa toujours la musique pour ses films. Brock note que « son écriture fut si spécifique à l’action, si étroitement synchronisée, qu’il est quasiment possible de suivre le film uniquement avec la partition, sans images. »

Avec Meredith Willson, 1940
Avec Meredith Willson, 1940

La Ruée vers l’or, d’abord un film muet de 1925, ressortit en 1942 avec une narration par Chaplin et une partition musicale de sa composition. Vinrent ensuite Le Dictateur et Monsieur Verdoux. Plus tard il prit un plaisir évident dans la composition des pastiches de chansons et sketchs de music-hall de sa jeunesse pour Les Feux de la Rampe (1952), et dans l’écriture des parodies de chansons populaires des années 50 pour Un Roi à New York (1957). Son amour du pastiche et de la parodie ne se limita pas à la musique, car les paroles sont également pleines d’humour et de jeux de mots.

La famille Chaplin quitta Hollywood en 1952. Dans sa demeure suisse, Chaplin continua à développer son intérêt pour la musique et recevait des musiciens célèbres, tels que Rudolf Serkin, Arthur Rubinstein, Isaac Stern, et Clara Haskil. Sa fille Josephine se souvint avec nostalgie de comment, souvent, après le diner, il éteignait les lumières et insista que la famille écoute plusieurs disques de musique classique les uns après les autres, à la lueur de bougies.

Avec Clara Haskil dans la demeure suisse de Chaplin
Avec Clara Haskil dans la demeure suisse de Chaplin

Les archives de la famille Chaplin contiennent un certain nombre de bandes audio de Chaplin qui compose au piano, en fredonnant. Il aurait dit que même s’il ne se souvenait pas d’un air, il pouvait se souvenir de comment celui-ci se dessinait sur les touches noires et blanches du clavier. Entre 1958 et le début des années 1970s il composa et enregistra des bandes sonores pour tous ses autres films tournés entre 1918 et 1928 : Charlot soldat, Le Pèlerin, Une vie de chien (les trois ressortis ensemble en 1959 avec le titre La Revue de Charlot), Le Cirque, Le Kid, Charlot et le masque de fer, Jour de paie, Une journée de plaisir, Une idylle aux champs et l’Opinion publique. Certains airs rencontrèrent un grand succès, en particulier ceux du film La Comtesse de Hong Kong (1967) enregistrés par Petula Clark lors de la sortie du film. Des centaines d’artistes de Nat King Cole à Michael Jackson reprirent l’air Smile des Temps modernes.

« Travailler, c’est vivre, et j’adore vivre, » dit Chaplin, 87 ans, aux journalistes le 30 juin 1976. Il décéda un an et demi plus tard, le jour de Noel 1977. La musique qu’il composa jusqu’à ses derniers mois est un testament à son amour du travail, et de la vie.


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